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Ajumma : les sacrifiées de la réussite coréenne

Lors d’un premier voyage en Corée du Sud, ce qui surprend le plus souvent le voyageur étranger sont ces femmes d’un âge avancé, portant une permanente digne des années soixante, habillées de façon la plus ringarde possible, affublées d’une casquette avec une visière démesurée. Dans le métro séoulite, la première confrontation avec un voyageur étranger nouvellement arrivé laisse toujours des traces. Les blogs d’expatriés sont nombreux à relater leurs expériences malheureuses dans le métro de Séoul. Certains craignant même de prendre le métro de peur d’une rencontre non voulue avec un groupe de ces mégères locales.

Au final l’ajumma (아줌마) véhicule une image stéréotypée forte. Elle est l’essence même de la vulgarité, de l’ignorance, de la ringardise et le tout sans pudeur. Dépourvue de toute féminité, l’ajumma se fait remarquer en public en parlant fort. Lorsque les portes du métro s’ouvre à l’arrivée en station, elle se rue sur les sièges libres, jouant des coudes et bousculant parfois violemment les autres passagers pour y être la première.

@Insight Korea. Marché aux poissons de Busan.

L’ajumma originellement est une femme mariée avec des enfants mais qui n’est pas encore grand-mère. Par extension on y inclue les grand-mères qui ont tout du comportement de mégère. Simple appellation amicale, au fil du temps ce mot a pris une connotation péjorative forte surtout s’il qualifie quelqu’un qu’on ne connait pas. Ce vocable regroupe ainsi pas moins de 10 millions de personnes en Corée soit 1/5ième de la population. Si pendant très longtemps elles ont été raillées comme l’exemple type de ce qu’il ne faut pas faire, depuis quelques années il existe un mouvement de réhabilitation pour ses femmes qui ont tout sacrifié pour leur mari et leur famille. En effet au cours de la modernisation de la Corée, ces femmes ont mis de côté leur propre personnalité et leur indépendance pour revêtir le costume d’épouse, de mère et de belle-fille[1]La bru a une place très particulière dans la famille coréenne. Elle est une sorte de larbin sur laquelle se venge la belle-mère des mêmes sévices qu’elle a subi lorsqu’elle était … Continue reading, travaillant sans repos et sans récompense pour assurer le bien être du foyer. Les ajumma sont au final la résultante d’une société oppressive, sexiste et profondément traditionnaliste ; une vie sacrifiée pour devenir une femme ringarde et asexuée qui a renié sa propre identité pour assurer le bien être de son foyer. Poussée vers la sortie de leur entreprise à l’arrivée du premier enfant lorsqu’elle travaille, elle se consacre corps et âme à ses enfant et ne reprendra le travail que vers l’âge de cinquante ans lorsque les  enfants seront autonomes. Dernière embauchée, première virée, l’ajumma se contente de travail de nuit, saisonnier ou à temps partiel[2]Elle représente 50% des salariés coréens. A poste égal, elle doit se contenter d’un salaire 30% inférieur à celui d’un homme et sans les avantages d’une protection sociale … Continue reading. En permanence sous tension, elles sont une population à risque pour de nombreux cancers et souffrent très souvent d’hyper-tension et de désordres mentaux. Pour l’anthropologue KIM Young-hoon, elles sont le groupe humain le plus misérable sur terre.ajumma

Des féministes ont pris la défense de ces femmes et leur vouent un véritable culte. Laissées-pour-compte de la réussite coréenne, elles sont pourtant celles qui ont donné le plus pour assurer la réussite du pays. Les féministes en appellent ainsi à une reconnaissance et à une réhabilitation.

Notes

Notes
1 La bru a une place très particulière dans la famille coréenne. Elle est une sorte de larbin sur laquelle se venge la belle-mère des mêmes sévices qu’elle a subi lorsqu’elle était jeune épouse. Depuis quelques années, on voit cette situation s’inverser où les maris ont tendance à passer plus de temps chez leur belle-famille, libérant ainsi leur épouse des remontrances et reproches de leur belle-mère.
2 Elle représente 50% des salariés coréens. A poste égal, elle doit se contenter d’un salaire 30% inférieur à celui d’un homme et sans les avantages d’une protection sociale digne de ce nom.