Pas si fous ces Coréens

Certains les considèrent comme « fous ». Travailleurs acharnés, buveurs sans limite, ils sont souvent qualifiés de workaholic. La rencontre du pays où on travaille le plus avec celui des 35h ne pouvait que produire des étincelles. Témoignage.

Ocsurdejtobre 2003. Eric Surdej se sent comme un pionnier lorsqu’il intègre les équipes de LG en France. La marque quasiment sans visibilité sur le marché français est ambitieuse pour son développement futur. Ancien directeur de Toshiba où il a passé dix ans, il sent le vent tourner au début des années deux milles et décide de parier sur la réussite des chaebols sur les marchés internationaux, ces grands conglomérats typiquement coréens. Dès le premier jour le choc culturel est intense. La culture latine portée par le nouveau DG français s’oppose à une culture militaire irritée de la guerre et du confucianisme côté coréen. Car lorsque LG s’implante en France, l’entreprise n’a nullement l’intention de s’adapter aux spécificités locales, bien au contraire c’est le modèle de travail coréen dans son ensemble qui est exporté. Et les grands groupes demandent beaucoup à leurs employés : des journées de travail incroyablement longues, des vacances réduites à leur minimum, une disponibilité immédiate quelles ques soient les circonstances et une soumission sans faille à la hiérarchie. Corvéable à merci, le salarié n’a pour seule philosophie que le dépassement de soi quitte à en mettre parfois sa santé en danger. Vite qualifié de « discutailleur contestataire », le salarié français dénote dans ce qui pourrait sembler comme un enfer sur terre.

Eric Surdej intègre l’entreprise dans une période propice. Tout d’abord LG ouvre pour la première fois ses postes de direction à des managers étrangers dont Surdej fera partie. Ensuite en France tout reste à construire ; le groupe vient de s’implanter, Goldstar devient LG, le marché est à conquérir. Pendant 8 ans alors qu’il gravit les échelons pour finir vice-président du groupe, Surdej vit à l’intérieur de cette machine de guerre redoutable qui se lance à la conquête du monde. Endoctrinement sectaire et entraînement militaire sont même au rendez-vous au cours de son parcours et de ses nombreux voyages en Corée. Mais la crise de 2008 marque profondément le conglomérat. La croissance n’est plus là et la direction décide de changer de politique en se recentrant sur sa spécificité coréenne. Première mesure, le Coréen devient la langue officielle du groupe au détriment de l’anglais. Par la suite, petit à petit, les directeurs généraux non coréens sont débarqués sans ménagement. Si Eric Surdej manque d’empathie vis-à-vis de ses collègues, s’intéresse peu à la culture coréenne, il laisse pourtant un témoignage unique en son genre sur les pratiques managériales des chaebols. Témoignage qui fait même écho en Corée avant même que la traduction du livre ne soit encore disponible[1]Une interview sur une des plus grandes chaines de télé SBS assure la notoriété de l’ouvrage : « 그들은 미쳤다, 한국인들 » et seules de très rares librairies le propose.

Pourtant le parti pris de l’auteur est biaisé. Au fil de la lecture de son ouvrage, plusieurs points sont ainsi source de questionnement.

Le livre traduit en coréen sera disponible en librairie à partir du 24 juillet.
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Le livre traduit en coréen est disponible en librairie depuis le 24 juillet.

Tout d’abord Eric Surdej généralise son expérience au sein de l’entreprise LG à l’ensemble des entreprises coréennes. Pourtant « ces Coréens » qu’il décrit sont loin d’être représentatifs d’une société coréenne en transformation où le sacrifice de soi aux bénéfices de la famille, de l’entreprise ou encore du pays cède petit à petit la place à l’accomplissement personnel. Ils sont beaucoup à porter un jugement sévère sur les entreprises telles que LG qui asservissent leurs salariés et maximisent l’exploitation de leurs sous-traitants. Au final les Coréens sont nombreux à fuir ces chaebols calqués sur des organisations militaires, préférant revêtir le costume d’entrepreneur à la tête d’une start-up dont le nombre explose depuis quelques années, voire même pour d’autres revenir à la terre et s’installer à la campagne.

Ensuite le manque d’empathie d’Eric Surdej – que l’on pourrait presque qualifier de désintérêt total – pour la culture coréenne est surprenant. Il l’avoue lui même : « Je connais finalement peu la Corée après avoir passé huit ans dans une de ses plus grosses firmes et m’être rendu pas moins de soixante-cinq fois aux pays du Matin Calme. » Un peu plus loin on peut lire : « (…) la Corée est habituée aux longs déplacements qui ne lui posent pas plus de problèmes à accomplir qu’à faire subir à ses visiteurs. » Cette dernière remarque est symptomatique d’un manque d’acculturation de notre dirigeant français. En effet, entre France et Corée, les perceptions du rapport temps/espace sont différentes. En Corée lorsque vous rendez visite à quelqu’un, le plus important n’est pas le temps que vous restez et consacrez à votre hôte, mais la distance parcourue donc le temps consacré au déplacement pour venir voir votre hôte. Que vous ne restiez que cinq minutes a en soi peu d’importance, l’important est le déplacement. Sur un autre registre, après huit ans à travailler avec des Coréens et de si nombreux voyages dans la péninsule, il est surprenant que l’auteur n’ait pas appris le coréen. Ce manque de motivation est à mettre en opposition avec Etienne Rolland-Piègue qui, lorsqu’il est nommé premier conseiller à l’Ambassade de France à Séoul en 2013, annonce qu’il a pour objectif d’atteindre, avant la fin de son service, le niveau 6 du TOPPIK [2]Test de langue coréenne (Test of Proficiency in Korean)., le niveau le plus élevé. Au final du point de vue des relations humaines, le livre se conclue sur un constat d’échec, « Je me suis fait aucun véritable ami chez LG. »

Cette charge contre la culture d’entreprise des chaebols s’apparente plus au divorce qu’à une description objective. Lors du procès, de façon étonnante, le mari éconduit appelle à la barre les Japonais à travers le management de Toshiba, management qui qualifie les Coréens de « personnes à l’esprit si étroitement militaire, des brutes, des paysans sans finesse, des obsédés du contrôle, et de surcroît méprisants envers la civilisation japonaise ». Ainsi l’auteur n’hésite pas à plusieurs reprises à comparer Japonais et Coréens. Par petites touches acides, il laisse transpirer l’image d’un Japonais idéalisé face à un Coréen « brut de décoffrage ».

De ce constat amer, il faut attendre la fin de l’ouvrage pour que l’auteur en tire matière à enseignement : « On ne passe jamais en force à travers un groupe humain ; il faut accepter son ADN pour endormir toute suspicion. La stratégie du cheval de Troie est seule capable de vaincre tous les obstacles. C’est elle qui vous installe au cœur du groupe, seul lieu d’où vous pouvez faire bouger les hommes. » Malheureusement c’est là commettre encore une grave erreur en voulant instrumentaliser la relation à l’autre alors que les deux qualités fondamentales recherchées par une entreprise coréenne chez un collaborateur sont la loyauté et la sincérité. Non pas une sincérité de parole mais une sincérité dans l’agir en sachant se montrer désintéressé, honnête et loyal ; ce qui se traduit en milieu professionnel par travailler dur et être prêt à tous les sacrifices pour réussir dans son travail.

L’auteur est devenu depuis « Consultant en développement de stades » [3]Les stades, les nouveaux espace de loisirs, BFMTV le 18 mai 2015.

Notes

Notes
1 Une interview sur une des plus grandes chaines de télé SBS assure la notoriété de l’ouvrage : « 그들은 미쳤다, 한국인들 »
2 Test de langue coréenne (Test of Proficiency in Korean).
3 Les stades, les nouveaux espace de loisirs, BFMTV le 18 mai 2015

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