Archives mensuelles : décembre 2017

Aux origines du management coréen : le paternalisme

Le paternalisme est un élément structurant du modèle de management coréen. Pourtant les expressions de ce paternalisme sont souvent mal vécues par les expatriés ou mal comprises par les équipes internationales amenées à travailler avec des Coréens. Il est donc essentiel pour tous de comprendre les origines de ce paternalisme dans le modèle de management coréen afin d’adapter aux mieux ses méthodes de travail et ses modes de communication.

La Corée du Sud est réputée pour avoir un management très autoritaire, parfois même jugé comme brutal.  De fait les équipes françaises qui travaillent avec des Coréens sont souvent très étonnées par ce mode de fonctionnement et les blocages qui semblent apparaitre au moindre problème qui nécessite une décision et donc une adaptation. En Corée, la culture du sous-groupe est très forte. Le corollaire de cette organisation sociale est le respect des figures d’autorité  (enseignant, supérieur hiérarchique etc …); figure d’autorité qui a la responsabilité de la survie du groupe dans le pire des cas ou d’en assurer le bien être dans le meilleur des cas. Au delà d’une structure patriarcale classique, cette organisation sociale prend ses racines dans trois phénomènes :

La communauté villageoise. La culture du riz nécessite un travail collectif et rassemble toute la famille, chacun dépendant des autres. De cette organisation du travail a découlé une organisation sociale. Ainsi les communautés villageoises se constituent à partir d’une seule famille. Il y a donc une adéquation entre communauté de sang et communauté villageoise. Néanmoins les figures dominantes du village étaient amenées à voyager à l’extérieur et sont devenues au fil du temps les représentants de l’Etat. En effet l’Etat était incapable d’assurer son pouvoir sur les villages, il déléguait cette mission à des fonctionnaires issus de cette communauté de sang. Il y a donc une communauté de lignée qui s’est transformée en communauté de classe, les yangban (양반), fonctionnaires recrutés sur concours. Ces yangban jouaient le rôle d’agent entre l’Etat et les communautés villageoises. Très tôt dans l’histoire de la péninsule, il y a donc affermissement d’une figure d’autorité, lien entre le village et le monde extérieur; figure d’autorité respectée et écoutée car représentant de l’Etat.

Confucianisme. La Corée a découvert le confucianisme en même temps que le bouddhisme et le taoïsme. La péninsule en a donc une approche hybride qui est exploratoire au début mais verra son apogée avec le confucianisme du chinois Zhu Xi. Mille cinq cent ans après Confucius, Zhu Xi (朱熹) se propose d’intégrer l’ensemble de la pensée chinoise, à travers les commentaires d’une dizaine de livres, à la vision confucéenne du monde. La Corée s’appropriera très vite le travail de Zhu Xi et ses propres penseurs continueront le travail initié en Chine. Dès l’introduction du confucianisme, la Corée intègre en même temps des éléments mystique (taoïsme), spirituel (bouddhisme) que les penseurs mixent avec l’éthique sociale confucéenne. Cela fait émerger un confucianisme propre à la péninsule et explique l’appétence des Coréens pour la pensée de Zhu Xi. Au quatorzième siècle, les premiers rois de Joseon s’appuient sur les valeurs du confucianisme pour imposer un ordre moral sur la société et donc légitimer leur récente prise de pouvoir.

Dans la morale confucéenne, en lui donnant naissance et en l’élevant, les parents fournissent des bienfaits que l’enfant ne sera jamais en mesure de rendre ; cette dette inextinguible lui impose une piété filiale exemplaire qui se traduit par l’obéissance au père, même adulte, et des devoirs de reconnaissance.

Immortalité. La tradition issue de l’Empereur jaune (Chine) est associée à la quête d’immortalité. Cette quête peut être de l’ordre de l’alchimique mais aussi sociale par le rite aux ancêtres. La piété filiale est une des vertus qui marquera le plus la pensée coréenne. Comme le relève Francis Macouin[1]La Corée du Choson, Les Belles Lettres 2009, le garçon est le futur célébrant des rites au ancêtres. Les ancêtres sont perçus comme des esprits résidant dans le monde des morts et susceptibles d’assurer une médiation avec les puissances surnaturelles, mais en même temps ils maintiennent un lien organique avec leur descendance. Le fils se doit d’engendrer une descendance pour perpétuer le culte aux ancêtres donc la survie des parents.

Cette combinaison : figure d’autorité, rôle protecteur des parents, devoirs des enfants en retour sont le ferment du paternalisme coréen.

Un modèle de management hybride
Kim Hyun-seok de la division TC de Samsung

Ainsi dans l’entreprise, la structure organisationnelle ne fait que reproduire le comportement social. Les valeurs et pratiques associées sont le respect stricte de la hiérarchie et des figures d’autorité (le chef a toujours raison dans tous les cas), l’entraide et la solidarité en cas de coup dur ; coup dur professionnel (le manager n’hésite pas à relever les manches pour aider ses équipes en cas de surcharge de travail) ou personnel (il y a une certaine tolérance pour laisser le collaborateur gérer des situations d’ordre privé pendant son temps de travail).

Ces spécificités dont plus particulièrement le respect de l’autorité et le collectif sont des traits que l’on retrouve dans les cultures d’entreprises chinoises et japonaises. Le collectif écarte le traitement individuel au profit d’un traitement collectif de l’équipe. Une prime ne sera par exemple jamais individualisée mais collective. Le leadership est l’apanage du chef. Donc les négociateurs sont dépendants du siège et de leur hiérarchie et au final, ils ont très peu de marge de manœuvre. Pourtant la stratégie est élaborée par le middle management mais doit être validée par le top management avant sa mise en œuvre. Les décisions impliquent donc à la fois les managers qui élaborent et les dirigeants qui valident.

Mais le modèle de management coréen reste assez hybride. Fortement impacté par le confucianisme pour les PME, il sait être très innovant parfois[2]Le management coréen innove. Pour les grands groupes, il s’inspire beaucoup des modèles managériaux américains et japonais.

Travailler efficacement avec des Coréens

Afin de travailler efficacement dans un milieu professionnel coréen et éviter les écueils des différences culturelles, il faut assimiler cette vision paternaliste du management. Il y a quelques règles de bases à respecter :

  • Apprendre le coréen (un minimum),
  • respecter les rites (politesse, respect des ainés, du chef),
  • accepter que le chef ait toujours raison,
  • jouer collectif et s’appuyer sur les dynamiques de groupe,
  • travailler dur sans lésiner sur ses efforts,
  • communiquer de façon explicite sans être impoli (la sincérité est une sincérité d’acte et non de parole), humilité et bienveillance.

La relation personnelle se construit en dehors du temps de travail au cours de repas, beuveries, barbecues, vacances. Il faut donc prévoir d’y consacrer du temps et ne pas le prendre comme une contrainte mais comme un plaisir. Les Coréens sont très sensibles à la communication non verbale.

Notes

Notes
1 La Corée du Choson, Les Belles Lettres 2009
2 Le management coréen innove