Le management coréen à bout de nerfs

Une agression verbale suivie d’un verre d’eau jeté au visage d’un prestataire par la fille héritière de Korean Air relance le débat national sur des pratiques managériales que la Corée ne souhaite plus voir.

Cho Hyun-ah et Cho Hyun-min. L’ainée et la cadette (© Yonhap).

Courant mars lors d’une réunion, la fille cadette héritière de Korean Air perd ses moyens ; de colère elle jette au visage du directeur d’une agence de publicité, un verre d’eau. Par ce geste CHO Hyun-min conforte la piteuse image du groupe pour ses pratiques managériales. Il y a quatre ans sa sœur ainée, CHO Hyun-ah a fait les gros titres après un incident sur un vol en première classe New-York / Séoul. L’héritière après que le steward lui ait servi des noix de macadamia dans son sachet d’origine et non dans un bol comme le veut la procédure, s’est emportée. Les excuses du steward obligé de se mettre à genoux face contre terre pour demander pardon n’ont pas suffit à calmer l’irascible héritière. Non contente des excuses, elle demande au pilote dont l’avion se dirige vers la piste d’envol de revenir à la porte d’embarquement pour débarquer le steward jugé incompétent et dangereux. C’est le tollé en Corée du Sud. Pour cet acte elle écopera d’un an de prison. Aujourd’hui c’est sa sœur cadette qui est à l’origine du scandale avec des pratiques équivalentes.

Il n’est pas rare de rencontrer des expatriés travaillant avec des Coréens qui rapportent des scènes irréelles où des managers coréens laissent libre cours à de terribles colères. Ainsi Eric Surdej après un passage de dix ans chez LG témoigne dans son livre « Ils sont fous ces Coréens » chez Calmann-lévy de la pression permanente qui pèse sur le management si les résultats ne sont pas atteints : « Pendu au téléphone, pressant ses employés, les menaçant, les insultant parfois, (…). On conçoit que ce stress permanent conduise parfois à l’explosion ; coup de colère, insulte à l’interlocuteur, portes claquées, objets jetés par terre – ou un livre à la tête d’un pauvre cadre ! ». Marqué par cette violence managériale, l’auteur en fait même le thème du prologue de son témoignage. A sa prise de fonction, il est témoin involontaire dans le bureau qui jouxte le sien d’une discussion entre le président coréen et un de ses cadres qui de minute en minute devient de plus en plus virulente. Les hurlements se ponctuent par un rapport lancé violemment contre la cloison du bureau. L’incident terminé quand il s’émeut auprès des assistantes de ce qu’il a entendu personne ne s’en étonne. C’est un comportement normal.

Pourtant ce comportement n’est plus si normal que ça. Si effectivement à l’origine les structures managériales des entreprises coréennes sont composées d’anciens officiers de l’armée apportant avec eux son lot de brimades et de comportements autoritaires, les choses changent avec l’avènement de la démocratie en Corée du Sud. Ce changement de culture managériale s’accélère au début des années deux mille. Les entreprises parties à la conquête du monde développent un mix management qui leur est propre intégrant des éléments des cultures managériales américaines et japonaises. Quinze ans après, c’est l’effervescence des start-ups qui réinventent le rapport au travail et le besoin d’un management qui fait fi du passé.

De nos jours, un manager qui perd toute retenue pour s’en prendre de façon agressive à un collaborateur est considéré en situation d’échec. Il y a même un néologisme qui a été formé pour décrire ce genre de situation : gapjil (갑질). C’est l’attitude négative d’un supérieur hiérarchique vis à vis d’un inférieur, collaborateur ou prestataire. 97% des employés coréens déclarent avoir été témoin d’un gapjil, et 90% déclarent en avoir été victime au moins une fois dans leur carrière soit à l’intérieur de l’entreprise, soit à l’extérieur du fait des clients pour un tiers des victimes. Au delà de la simple humiliation, ces violentes altercations ont une incidence sur la santé des salariés. On peut citer comme troubles les plus fréquents : ulcère (62,4%), migraine (56,2%), insomnie (37,3%), perte d’appétit (26,6%), perte de cheveux (18,4%).

Quand c’est un membre de la famille d’un chaebol qui perd ses moyens, la colère du cadre supérieur devient un sujet de société et relance le débat sur ces déviances autoritaires et humiliantes. M&M, Korean Air, Monggo Food ont fait ainsi les gros titres de la presse. Les rapports aux fournisseurs sont aussi pointés du doigt. Car au-delà de la remontrance violente il y a aussi une pression sur les prix pour un fournisseur ou même sur le salaire pour un salarié. L’hôpital de la prestigieuse Seoul National University a vu se cristalliser l’opprobre sociale sur son mode de rémunération des infirmières nouvellement diplômées payées bien en-dessous du minimum légal pour cause de période d’essai ; 1800 Won (1,4€/h) par heure de travail au lieu de 6470 Won (4,9€/h), minimum légal. 1200 infirmières ont bénéficié.

Après chaque scandale, l’image des entreprises en pâtit et la législation se renforce. N° vert, médiateur, enquête public d’envergure partent à la chasse d’un comportement jugé d’un autre temps par la société coréenne. Ce dernier cas montre qu’une politique de prévention auprès des victimes et la pénalisation de ces dérives portent ses fruits. La fille cadette héritière est sous le coup d’une enquête et les perquisitions à la fois dans les bureaux de Korean Air Lines et à l’agence de publicité pour clarifier la situation sont annonciateurs de poursuites judiciaires.

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