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Bookpal fait payer ses lecteurs

La Corée du Sud, pays le plus connecté au monde, est pour beaucoup un laboratoire des nouvelles pratiques numériques. Ainsi lorsqu’un nouvel acteur révolutionne en à peine un an le marché de l’édition, son modèle interpelle.

bookpal_chinePrésent sur le marché de l’édition numérique depuis le lancement de l’application en 2011, Bookpal innove face aux grands de l’édition numérique. En effet ces derniers n’ont fait que transférer leur contenu internet vers les smartphones et quand la série est finie, le roman est publié sur papier. Bookpal va au delà de la simple application pour tablettes et smartphones, car la start-up est une véritable société d’édition proposant à son catalogue 3 000 auteurs dont les œuvres inédites sont écrites exclusivement pour le format smartphone.

Au Pays du matin calme, le smartphone initie une nouvelle forme de consommation de la culture. TV, web TV et autres médias, films, messagerie instantanée, photos etc…., c’est aujourd’hui un passage obligé et cette abondance de contenus et de services proposés sur un seul appareil a donné naissance à une « Snack Culture ». Les ressources sont multiples. Elles se consomment dans un temps court (5 à 10 minutes) ou de façon morcelée. Le type de contenus sont nombreux mais ceux qui tirent leur épingle du jeu sont les webtoons, les romans web et les web dramas.

C’est dans ce contexte que Bookpal construit son offre. Dans le projet initial, à la création de la société, les dirigeants pensaient proposer du contenu gratuit en le finançant par la pub. Mais très vite ils se sont rendus compte que cela ne fonctionnait pas car les annonceurs préfèrent de gros opérateurs comme Naver ou Google susceptibles de proposer des campagnes de publicité ciblées selon les groupes de consommateurs visés. Ainsi les annonceurs hésitent à engager des campagnes auprès de sociétés de moindre envergure. C’est devenu très vite un cercle vicieux ; les revenus des auteurs étant incertains, ils n’étaient pas motivés pour créer des œuvres originales.

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Pourtant pour attirer le consommateur, il faut proposer du contenu gratuit. La difficulté si on propose d’abord un contenu gratuit c’est lors du passage au payant : c’est l’hémorragie côté utilisateur et signifie l’échec. L’utilisateur habitué au gratuit ne veut pas débourser un sou pour un contenu payant même s’il en a l’exclusivité d’usage. Afin de trouver un modèle viable, Bookpal s’est inspiré du Free-to-play : le jeu est gratuit mais si le consommateur veut plus (un item légendaire, une caractéristique spéciale par exemple), il paye. Bien conscient de ne pouvoir jouer sur des petits plus, Bookpal s’est positionné sur le temps. Si le lecteur veut la primeur d’un nouvel épisode, il paye. S’il ne souhaite pas payer, l’épisode est accessible quatre jours après, gratuitement. Le lecteur n’achète plus un contenu mais du service.

Des consommateurs qui ne sont pas autonomes dans leurs actes de consommation

Bookpal n’a pas été le premier à mettre en place ce nouvebookpalau mode de consommation. Il est difficile de faire émerger de nouvelles habitudes de consommation et pour cela il faut avoir les reins solides. En effet en Corée, le service est considéré comme gratuit. Le premier secteur à avoir essuyé les plâtres est le câble. Le film est gratuit mais si le spectateur souhaite le voir de suite, il paye ce service. Jouer sur la simple disponibilité s’avère une erreur en Corée. En effet la difficulté majeure du marché coréen, ou parfois un formidable levier pour des succès commerciaux inattendus, réside dans le fait que les consommateurs ne sont pas autonomes dans leurs actes de consommations. Quand ils choisissent un service ou un produit, c’est par rapport aux autres. Si le consommateur paye pour du contenu, l’entourage le critique. Mais si celui-ci dit que le service est gratuit et qu’il paye de temps en temps, cette attitude renvoie à l’entourage l’image d’un consommateur raisonnable. L’autre difficulté mais cela ne concerne que les smartphones, les Coréens n’ont pas confiance dans les systèmes de paiement via le téléphone lorsque cela concerne le numéro de carte bleue. Là aussi c’est un jeu qui a cartonné, Anypang (애니팡), qui a ouvert la voix ; le jeu, une sorte de Candy Crush, nécessitait d’acheter des objets valant très peu cher pour pouvoir jouer. Bookpal s’est engouffré dans la brêche en se positionnant à un moment clef où les habitudes de consommation évoluent et la confiance se construit.

Une littérature populaire

La réflexion d’un système payant a permis de façonner l’offre. Si le lecteur paye, c’est pour avoir du plaisir pendant sa lecture. Le choix a donc été de fournir un contenu de lecture qui procure un plaisir éphémère. La Grande littérature a été écarté au profit de romans de gare, une véritable littérature populaire. Même si le genre comme la collection Harlequin, est très critiqué, il plait et se vend. Très vite les premiers romans par épisode proposés cartonnent. Comme le lecteur paye, les rentrées financières pour les auteurs ne se font pas attendre les motivant à écrire. Beaucoup ont déjà un travail et écrivent sur leur temps libre. Mais face au succès, certains n’hésitent pas à abandonner leur travail pour se consacrer uniquement à l’écriture ; les auteurs vedettes cumulent 75 000 €uros de gains et la plupart des auteurs ont empoché plus de 7 500 €uros. Aujourd’hui Bookpal propose un contenu de plus de 30 000 épisodes et l’enrichit de 500 nouveaux épisodes par semaine. Des chiffres qui font rêver. L’auteur phare, Oz, auteur de « Secretive Rule of Affair » entre autres, est suivi par 70 000 fans et ses épisodes totalisent 80 millions de téléchargement. Le consommateur type est une jeune femme. Elles sont en Corée les premières consommatrices de produits culturels. La machine est lancée. Fort des quatre millions de téléchargement de l’App, Bookpal étend son offre à la BD en créant Bookpal Comics. Le dernier né propose à la fois une mise en relation de scénaristes et de dessinateurs mais aussi des contenus originaux. Lancée en novembre 2014 l’App avec déjà 500 000 téléchargements est pour l’instant le bébé sur lequel tout le secteur focalise son attention.

Sans attendre d’affirmer son succès sur son marché intérieur. Bookpal part à la conquête du reste de l’Asie. Le Japon qui a une longue tradition littéraire, est écartée. La Chine avide de produits culturels Made in Korea a, a contrario du Japon, aussi une littérature populaire foisonnante. Elle devient donc la prochaine étape du développement de Bookpal. En mai 2015 après la signature d’un accord avec Halo Games basé à Shenzen, Bookpal fait ses premiers pas en Chine.